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La Lettre n° 75 | Échos de la recherche
La société romaine antique. Droit, rites et institutions
par Yann Rivière

La société romaine antique. Droit, rites et institutions

Yann Rivière a été élu directeur d'études à l'EHESS par l’assemblée des enseignants en juin 2014.

L’exercice de la justice constitue assurément, selon la formule de Marc Bloch, une « pierre de touche » pour la compréhension des systèmes sociaux et des formes du politique. Dans le cas romain, le constat est d’autant plus flagrant que l’autorité se définit principalement comme une « puissance de vie et de mort » (les travaux de Yan Thomas l’ont remarquablement mis en évidence), et que la genèse des institutions républicaines, au sortir de la royauté, est indissociable d’un effort pour l’endiguer (en dehors de la sphère de la juridiction domestique). Toute menace à l’ordre ainsi établi, dans des situations d’exception (iustitium) ou de guerre civile, fait ressurgir la question de l’exercice de la violence judiciaire et de l’emprise du tribunal (un même mot désigne le siège du juge et la tribune du général). La souveraineté impériale s’est affirmée par le monopole de cette violence. L’administration des territoires conquis est confiée à des « juges ».

À partir de ce constat, l’enseignement que je poursuivrai dans les prochaines années s’inscrit à la croisée de trois ensembles : l’histoire et la fabrication du droit criminel ; l’étude des rites et des institutions (en quoi, dans le champ criminel, le droit et le sacré ont-ils partie liée ? La réponse ne s’inscrit pas toujours dans un discours des origines) ; l’analyse des formes de gouvernement sur un territoire impérial (ou sur une « très grande ville » : Rome), face aux menaces extérieures ou à la récurrence de la guerre civile. Ces trois ensembles se recoupent et permettent par commodité de définir l’orientation de mes travaux, ainsi que les champs du comparatisme et de la confrontation vers lesquels ils se tournent. Une même exigence méthodologique les anime. Elle pourrait être qualifiée « d’anatomique » (J. Keegan ; X. Xercas). En dépit de la spécificité des sources à la disposition des études anciennes – les « archives » militaires ont presque entièrement disparu, les coups d’État ne peuvent être visionnés en boucle sur un écran –, la confrontation des approches et des questionnements employés pour la connaissance des mondes contemporains est propre à renouveler le regard sur l’Antiquité et constitue probablement le meilleur levier d’analyse. Inversement, combien les mondes anciens offrent d’outils critiques, dans le domaine du politique par exemple, pour saisir notre présent ! La démarche dans son ensemble répond à la simple exigence du métier d’historien tel que le définit Jean-Pierre Vernant, à propos des événements de la seconde guerre mondiale : « l’histoire s’efforce d’établir des faits de façon précise et exacte et de les rendre autant que possible intelligibles dans leur succession et leur conditionnement ».

J’entends continuer d’élargir dans les prochaines années le corpus documentaire étudié (de l’époque archaïque jusqu’à l’Antiquité tardive) pour permettre une circulation, au fil des thématiques, d’un siècle à l’autre de l’histoire de Rome. Les passerelles qui pourront être empruntées pour confronter les études anciennes à d’autres domaines de l’histoire et des sciences sociales en seront, toujours avec prudence, plus aisées à franchir.