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La Lettre n° 57 | Dans les centres et les services | Disparition
par François Hartog

Hommage à François Sigaut

Extrait de l’assemblée des enseignants du 24 novembre 2012

Le 2 novembre dernier, François Sigaut nous quittait. En quelques semaines, il était emporté par un cancer. Ceux qui lui ont alors rendu visite à l’hôpital ont trouvé celui qu’ils avaient toujours connu, avec son esprit sarcastique et son humour, celui aussi qui avait pris soin de régler ses funérailles. Très attaché à l’École, il continuait à fréquenter nos assemblées et n’hésitait pas à intervenir sur cette espèce d’agora (mais sans face à face) qu’est le tlm. Le 27 septembre dernier, il nous invitait encore à réfléchir, cum grano salis, sur « les bonnes idées » : « pourquoi, en fin de compte, se demandait-il, les bonnes idées ne valent-elles pas mieux que les mauvaises (ou que l’absence d’idées, d’ailleurs) ? » Je ne sais si quelqu’un compilera un jour ses interventions sur tlm, mais apparaîtrait, je crois, une sorte de commentaire des débats et combats qui y ont couru à grande vitesse depuis qu’il existe, commentaire souvent un peu décalé, non exempt d’une pointe de provocation mais jamais agressif, et toujours avec des traits d’humour. À l’occasion de ses obsèques, ses proches et ses amis lui ont rendu hommage et ils ont la ferme intention de prendre plusieurs initiatives : un inventaire de ses travaux, des publications d’inédits et des rééditions, ainsi que, à plus longue échéance, l’organisation d’une rencontre internationale autour des principales thématiques de son œuvre. Si la question des techniques a toujours été centrale pour lui, l’attention qu’il portait aux gestes dans le travail l’a conduit à traverser les disciplines et les époques du Néolithique à aujourd’hui. Ainsi qu’en témoigne son dernier livre, publié en 2012, Comment Homo devint faber.

Il entra à l’École en 1978, comme maître de conférences, et fut élu directeur d’études en 1991. Né à Reims en 1940, il rejoignit l’Institut national agronomique en 1960. Devenu ingénieur agronome, il fut d’abord coopérant au Niger où il s’intéressa aux techniques traditionnelles. Après quelques années de pratique comme agronome en France et en Algérie, il se lança dans la préparation d’une thèse d’ethnologie, sous la direction de Lucien Bernot, sur les techniques anciennes de préparation du champ, publiée sous le titre L’agriculture et le feu. Ce parcours atypique d’agronome, devenu historien et ethnologue des techniques, lui permit d’être élu à l’École pour y développer des recherches centrées essentiellement sur les techniques agricoles préindustrielles. Peu après, il publia un nouveau livre sur les techniques de conservation des grains.

Dans son projet de direction d’études, il relevait que « les techniques sont la seule catégorie d’activité humaine dont l’institution universitaire s’est toujours massivement désintéressée », et il entendait donc « travailler sans relâche à montrer tout ce que l’histoire et l’anthropologie des techniques peuvent apporter à notre compréhension des sociétés dans leur ensemble ». Il formulait alors un programme en cinq points : 1) clarifier le statut scientifique de la technologie, 2) renouveler ses concepts et méthodes, 3) développer des problématiques communes à la technologie et aux autres sciences sociales, 4) explorer les rapports entre la production des habiletés et les structures sociales, 5) fédérer les efforts de sauvegarde et de valorisation du patrimoine de l’agriculture en France.

Ce programme, il l’a très méthodiquement tenu et rempli : dans son enseignement, ses publications et son action. Le 5e point, sans doute moins connu de nous, le mobilisa fortement. La place centrale qu’il accordait à l’outil dans les sociétés préindustrielles l’amena à s’intéresser de près à la conservation des instruments agricoles et, donc, aux musées d’agriculture. C’est ainsi qu’il lança, au début des années 1980, l’idée de constituer une association nationale des musées d’agriculture, qui fédère aujourd’hui les musées ruraux français. En septembre 2011, il avait été élu président de l’Association internationale de musées d’agriculture. Pour marquer une volonté d’ouverture sur le monde, il avait œuvré pour que le prochain congrès se tienne, en 2014, à New Delhi. Il était depuis 2009 membre de l’Académie d’agriculture.

Dans son dernier livre, déjà cité, Comment Homo devint faber, ce sont les premiers points de son programme qu’il développe et approfondit, en partant, écrit-il, de ce paradoxe : « l’action outillée a été beaucoup plus étudiée chez l’animal que chez l’homme où elle est la règle. Or, c’est en faisant de cette action le modèle de l’ensemble de ses activités matérielles que l’espèce humaine s’est constituée en tant que telle ».

À cet hommage à François Sigaut, qu’on s’attendait presque à trouver aujourd’hui encore dans les rangs de notre assemblée, je vous demande de vous associer.