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La Lettre n° 39 | Réflexion sur...
Le Mouvement Social
par Patrick Fridenson

Pour une histoire de la science et des universités en France depuis 1945

« Mutations de la science et des universités en France depuis 1945 », n° 233 de la revue d’histoire Le Mouvement Social, aux Éditions La Découverte

Le Mouvement Social, revue d’histoire sociale créée en 1951 et qui a pris ce nom en 1960, a pour vocation de diffuser des travaux qui rendent compte des développements récents de l’histoire sociale des XIXe et XXe siècles. Elle embrasse l’époque contemporaine dans toute son ampleur, des toutes premières années du XIXe siècle aux toutes premières du XXIe. Elle comprend l’histoire sociale dans tous ses développements : à l’histoire des engagements collectifs et des organisations professionnelles, qui constituait à l’origine sa raison d’être et qui demeure l’un de ses principaux centres d’intérêt, s’ajoutent d’autres approches d’histoire sociale et d’autres champs d’étude : l’histoire sociale du politique et de l’État, l’histoire culturelle et des imaginaires sociaux, celle des rapports de genre, celle, aussi, de l’immigration et de toutes les formes de mobilité. Il s’agit donc bien de promouvoir une histoire sociale plurielle, située au confluent de très nombreux champs, puisque l’économie, la sociologie, l’ethnographie, l’anthropologie, la démographie, la science politique ou encore le droit lui offrent des angles d’approche et des outils de compréhension indispensables. L’ouverture aux différentes branches des sciences sociales permet de montrer les atouts du dialogue entre les disciplines, la complémentarité des interrogations propres à chacune d’entre elles pour réaffirmer la place incontournable de l’histoire parmi et avec les sciences sociales.
La revue ambitionne également d’accueillir les travaux qui portent sur différentes aires géographiques. Soucieuse de se tenir au plus près des récents développements de l’historiographie, Le Mouvement Social s’attache à promouvoir les études comparatives ou les travaux portant sur des pays étrangers, encourageant également les jeux d’échelle entre le local et l’international.
Un numéro sur deux de la revue est composé d’articles variés, un numéro sur deux est à thème unique.
Revue publiée avec le concours du CNRS, Le Mouvement Social a été fondé par Jean Maitron. Lui ont succédé à la direction de la revue Madeleine Rebérioux puis Patrick Fridenson.

Tout le monde en France croit savoir ce que sont la science ou les universités contemporaines. Pourtant bien souvent il s’agit d’idées fausses ou s’appliquant à un passé révolu ou ignorant les apports de l’histoire et de la sociologie des sciences. Ayant fait l’objet d’une préparation collective depuis 2007, le numéro d’octobre-décembre 2010 de la revue d’histoire Le Mouvement Social met donc quelques-uns des principaux dossiers cartes sur table. Il montre comment dans les régions, au plan national, à l’international la science et les universités se sont transformées. Il cerne les alliances et les conflits auxquels ces changements ont donné lieu. Il en évoque aussi les impacts et les limites. Il situe les étudiants, les universitaires, les chercheurs et autres personnels face aux nouvelles missions qui leur sont peu à peu assignées. Il offre un texte inédit sur les manifestations de 1968. Faisant appel à la fois à des historiens et à des spécialistes d’autres sciences sociales, il tente une histoire sociale de l’intervention des différents acteurs internes et externes et un bilan des transformations effectuées. C’est la première fois qu’une revue d’histoire consacre en France un numéro entier à la recherche et à l’enseignement supérieur de 1945 à aujourd’hui.
Ce numéro tente d’abord un cadrage d’ensemble des évolutions de la science, des inflexions des politiques publiques et des changements des établissements de recherche et d’enseignement supérieur à l’échelle du pays depuis 1945. D. Pestre présente la science en situation et la trajectoire française, avec ses inflexions, parmi celle des pays développés. A. Prost et J.-R. Cytermann offrent un éventail large d’informations statistiques, souvent en longue période, souvent inédites, et qui s’achève sur des comparaisons internationales. Leur dossier fait une place de choix à l’évolution contrastée du milieu étudiant. P. Fridenson analyse la politique universitaire depuis 1968, soit la lente conversion à l’autonomie des universités, à la professionnalisation des enseignements, à des standards européens malgré les dualismes des types d’établissements hérités de l’histoire qui ont freiné la démocratisation des publics.
Ce numéro présente ensuite des recherches ou des essais par des chercheurs qui, sauf un, ne sont pas des historiens sur une série de sujets considérés comme chauds soit dans les travaux récents dans les diverses sciences sociales soit dans le débat public à l’égard de ce secteur. Aucun des articles ne se limite pourtant au temps présent. Jérôme Aust, Maryvonne Baron, Bernard Hubert, Jean-Yves Mérindol, Fabienne Pavis montrent chacun combien non seulement le cloisonnement entre écoles et universités commencé au XVIIIe siècle, mais encore des controverses ou des processus de décision antérieurs à 1945 et remontant à l’occasion au XIXe siècle influent toujours sur les représentations, pratiques et actions de notre période. Il en va ainsi face aux changements des missions des personnels, de leurs conditions d’emploi et de travail, de leurs libertés, aux différences entre disciplines et aux rapports entre discipline et établissement, entre local et national, qu’étudie Jean-Yves Mérindol en expliquant les transformations lentes des statuts des universitaires au cours de la période.  Les rapports à l’espace géographique et social font l’objet de deux articles complémentaires. Maryvonne Baron montre comment les transformations de la carte des implantations universitaires et des rapports entre les différentes structures universitaires et les collectivités territoriales depuis 1960 se caractérisent à la fois par des continuités durables et de fortes ruptures. Jérôme Aust, sur le cas de Rhône-Alpes, première région française à avoir élaboré une vision de la recherche et des établissements d’enseignement supérieur, analyse l’inégale conversion des hommes et femmes politiques à un domaine pour eux inédit, puis la dynamique des relations entre les responsables universitaires, les collectivités et l’État à l’heure de l’autonomie renforcée et des pôles de recherche et d’enseignement supérieur. De nouveau, deux articles complémentaires s’attachent à la question si sensible des rapports entre les initiatives des acteurs scientifiques et pédagogiques et les demandes ou perceptions des acteurs économiques et de l’État. Fabienne Pavis explore le passage, entre la fin des années 1950 et 1975, du haut enseignement commercial hérité du XIXe siècle à un enseignement supérieur de gestion. Elle y voit à la fois un exemple du développement contemporain de formations supérieures dites utiles et de la capacité de divers types d’établissements à accueillir de nouvelles disciplines, perspective qui est aussi celle d’un livre récent sur l’informatique en France dont il est rendu compte à la fin de ce numéro. Bernard Hubert étudie les fortes mutations de la recherche et de l’enseignement supérieur agronomiques, au diapason des profondes transformations de l’économie et des métiers de l’agriculture dans les pays du Nord comme du Sud, de la multiplication des organisations transnationales et des changements dans la relation des sociétés à la nature – de l’exploitation effrénée à l’éventuel développement durable. Gabriel Galvez-Behar boucle la marche dans une chronique qui croise deux thèmes chauds dans un espace qui va au-delà des établissements : celui de la montée, à côté de la traditionnelle évaluation des activités scientifiques par les pairs, d’une évaluation par des institutions étatiques, et celui de la diffusion des recherches scientifiques par les revues, ici celles de sciences humaines et  sociales, dont  l’évaluation par des institutions étatiques ou transétatiques est du même coup en train de profondément changer. Il souligne la nécessité de développer une histoire et une sociologie du jugement expert. Aux États-Unis, le livre récent de la sociologue Michèle Lamont a montré comment dans les sciences humaines et sociales les préférences personnelles, les diversités de discipline, de genre, d’origine ethnique, les impulsions élitistes ou populistes se croisent avec les règles coutumières de délibération et les mécaniques institutionnelles dans l’appréciation de ce qu’il est convenu d’appeler l’excellence (M. Lamont, How Professors Think. Inside the Curious World of Academic Judgment, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2009).
Enfin il n’y a pas d’histoire sociale qui vaille sans la saisie des tensions et des conflits qui traversent le monde social. Le numéro choisit sur ce point majeur d’évoquer la durable ombre portée du mouvement de mai-juin 1968, auquel Le Mouvement Social avait consacré un numéro spécial à chaud (« La Sorbonne par elle-même »). Il publie un extrait, choisi par l’auteur et mis au format d’un article, des mémoires inédits d’un étudiant d’histoire de 1968, Jacques Guilhaumou, rédigés en 2009. Il montre l’expérience que peuvent faire de l’événement ceux des étudiants qui participent à des mouvements. Il nous a aussi semblé intéressant de donner ce texte à un moment où, en France, les plus hautes autorités de l’État et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche parlent d’ « effacer 68 ».
Plusieurs auteurs appartiennent aux établissements membres de Condorcet : Jean-Michel Chapoulie et Antoine Prost sont à Paris I, Jean-Richard Cytermann, Patrick Fridenson, Bernard Hubert, Dominique Pestre sont à l’EHESS.

Document annexe

  • D. Pestre (application/pdf; charset=binary – 27k)