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La Lettre n° 38 | Déménagement, suite et fin
Lao-Tseu
par Goulven Le Brech

La sagesse de l’archiviste

La légende dit que Lao-Tseu, avant de se retirer dans les montagnes pour y mener une existence d’ermite, était archiviste de la cour des Zhou. Ce lettré chinois est à l’origine d’une sagesse bien connue : le taoïsme, qui propose comme principe de vie le « wou-wei » ou non-agir. Son principal écrit, le Tao to King, s’est édifié comme un mythe et aucun élément biographique ne permet de savoir pourquoi et comment d’archiviste de cette immense dynastie chinoise, Lao-Tseu est passé à la vie contemplative. Sans doute était-il las de constater, du fait de son état d’archiviste, les abus des dignitaires de la cour des Zhou.

Car la vie d’un archiviste, contrairement aux idées reçues, n’est pas un ronronnant train-train passé entre les quatre murs d’une salle de tri, d’une cave ou d’un grenier. Bien au contraire. Acteur discret au sein de l’institution qui l’emploie, l’archiviste est au cœur de l’action, sans contribuer directement à l’une de ses activités en particulier. Le fait est qu’il n’appartient pas à un corps de métier à proprement parler : il occupe une fonction. Le médecin soigne des malades, l’architecte conçoit des habitations, le banquier s’occupe des comptes de ses clients. L’archiviste, s’il contribue à la vie de l’institution qui l’emploie, a pour mission de s’occuper de l’activité des ses collègues « producteurs » d’archives : archives hospitalières, archives de cabinets d’architectes, archives bancaires… archives administratives et archives de la recherche en sciences humaines et sociales à l’EHESS. Or, cette fonction n’est pas spontanément comprise par tous, d’où parfois des malentendus. Ainsi, lors d’une expérience dans un établissement chargé de l’aménagement du territoire il y a quelques années, je me souviens d’un architecte qui me voyant ouvrir un bureau plein à craquer d’archives en déshérence, fit la remarque suivante à un collègue : « pourquoi met-il son nez dans ce bureau ? Il n’est pas architecte ? ».

La sagesse de l’archiviste consiste à comprendre, dès ses premières expériences, qu’il lui faudra toujours passer par ce stade initial d’incompréhension. Incompréhension qui, dans le pire des cas, peut aller jusqu’à la mise en cause, ainsi que le suggère Gilles Deleuze dans un texte consacré à Foucault, Le nouvel archiviste : « Un nouvel archiviste est nommé dans la ville. Mais est-il à proprement parlé nommé ? N’est-ce pas sur ses propres instructions qu’il agit ? ». Une suspicion plane facilement sur l’activité de l’archiviste : n’est-il pas une sorte d’espion chargé par la direction de surveiller le travail des salariés ? Lui qui a les clés des armoires où sont conservés les dossiers du personnel, ne les communique-t-il pas à tous vents ? Afin de lever tout malentendu, il lui faut prouver sa probité professionnelle, inhérente à la déontologie de sa fonction. Car à l’instar des médecins, il existe un code international de déontologie pour les archivistes (régi par le Conseil international des archives), une réglementation nationale de la communicabilité des archives (livre II du code du patrimoine) et surtout un respect du secret professionnel et de la vie privée. Si la fonction de l’archiviste s’inscrit dans la transmission de la mémoire collective son rôle est de veiller aussi à ce que la communication des archives ne nuise pas, in fine, à la mémoire des individus qui la compose.

Confronté aux aléas de la vie d’une institution, l’archiviste doit sans cesse s’adapter aux évènements qui y surviennent : fin d’une activité, fermeture d’un service, déménagement, décès… Sa position parfois délicate de « passeur » de mémoire, faisant de lui un nomade errant de bureaux en bureaux, de problématiques en problématiques, l’oblige à une certaine humilité, et il fait sienne cette belle formule du Tao to King :

L’ouvrage accompli
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